SAISON 2 - GRAHAM & PILATES (11-12 mars)

6ème Pratique Croisée - Saison 2 Graham & Pilates (11-12 mars)

« Les deux disciplines s’inter-nourrissent, par le centre, par des images, et par les enseignements des deux professeurs » - Sandrine.

Le croisement de la Pratique Croisée du mois de mars, s’est fait autour de deux méthodes : Graham & Pilates, deux figures éponymes mythiques : Martha Graham et Joseph Pilates, ainsi que de nos deux intervenants, Laura Lago, professeure de Méthode Pilates, avec une plus longue expérience d’enseignement qu’Axel Gérard, son binôme du week-end, jeune diplômé de la Martha Graham School.

«  Les gens pensent que ce ne sont que les pratiques, mais c’est à propos de la personne qui enseigne et le cadre que l'on pose, pas seulement à propos de la pratique » - Rafael.

  • Au-delà des clichés

Le succès des deux pratiques corporelles, à travers le monde, leur a également attribué de nombreux a priori et stéréotypes. Le Graham, vu comme une danse dure, tout en force, qui va jusqu’à pousser le corps dans la douleur, face au Pilates, devenu mainstream, et dont le nom est utilisé dans le rayon Décathlon où l’on trouve le plus de leggings.

« Soyez vous-même quand vous le faites, il n’y a pas d’autre moyens » - Alice

Alors, on se lance ! Car la Pratique Croisée c’est avant tout une expérience, que l’on peut tenter le temps d’un week-end, entouré•e•s par un groupe bienveillant. Les clichés furent déconstruits dès le premier temps d’échange du samedi soir. Laura Lago explique qu’après une blessure, la méthode Pilates l’a aidée à se reconnecter au monde de la danse et y retrouver du plaisir, car jusque là son corps lui faisait trop mal. Le Pilates lui a permis de retrouver force et mobilité. Axel Gérard ajoute qu’il a pratiqué le Pilates à l’école Graham, utilisé comme un entraînement efficace pour s’échauffer, notamment avant les spectacles.

« Remettre un pied dans quelque chose que je n’ai pas fait depuis longtemps. » - Camille

Enrichie par la pratique de danse de la Technique Graham, le Pilates a reconnecté les danseurs à leur corps, comme dans une bulle protectrice. Laura Lago explique que pour elle, la méthode Pilates ne nécessite pas de pousser à la performance, mais plutôt d’y trouver du plaisir, comme un moment de détente. Pour cela, elle a guidé les danseurs vers de nombreuses pauses et respirations entre les exercices. Au-delà des clichés, les deux approches sont alors apparues comme douces et protectrices pour le corps des danseur•euses.

« Je suis passionnée de danse et heureuse d’être là » - Lara

• Des liens solides

« Les liens sont importants. Pour moi cela fut important de participer car cela fait trop sens. » - Laura

Martha Graham et Joseph Pilates étaient des contemporains, et il est fort probable que les deux méthodes se soient influencées lors de leur développement au cours du XXème siècle. Ainsi, cette Pratique Croisée a révélé de nombreux liens et des connexions, qui ont permis aux danseurs•euses d’aller plus loin dans leurs perceptions corporelles, qui n’auraient pas été révélées en dehors de la Pratique Croisée.

« Aujourd’hui on vit la technique comme si elle était en dehors du temps, alors que des liens existent historiquement, et aussi dans l’utilisation des mêmes mots, des mêmes images et des mêmes comparaisons. » - Rafael

LA RESPIRATION

Laura Lago a tout de suite proposé aux danseurs•euses de conscientiser leur respiration, en l’écoutant. D’après elle, tout peut se connecter à partir de notre respiration si elle est bruyante. Entendre ce son, permet une connexion directe avec le périnée, chose qui fut tout de suite en lien avec la Méthode Graham qui utilise l’énergie pelvienne. D’ailleurs, Axel Gérard s’est aussi appuyé sur la respiration pour expliquer les chemins de mouvements de la Technique Graham. « Ce truc même compliqué à expliquer parfois. » selon lui, se trouve grâce à la respiration conscientisée. Ainsi, on gagne dans ce que la Technique appelle out of the body (au-delà du corps), un principe où l’on cherche à étirer quelque chose qui vient du centre.

C CURVE & CONTRACTION

La forme de la méthode Pilates nommée C curve, s’apparente à la contraction de la Technique Graham. La même image fut utilisée par les deux intervenants, celle du nombril qui touche la colonne vertébrale. L’importance du dos, de sa présence et de sa conscientisation dans le mouvement est importante dans les deux techniques.

TWIST PILATES & SPIRALS

Les hanches sont libres, et cela dans les deux méthodes. On obtient alors plus d’ancrage et plus de mobilité. L’alignement du corps, permet de travailler sur de nouveaux espaces que l’on parvient à ouvrir.

« Le Pilates semble agir par des petits mouvements, et ces détails particuliers demandent finalement de grands efforts. » - Rafael.

FORCE

Rien n’est complètement relâché dans ces deux pratiques corporelles, le mouvement provient d’une force intérieure, qui va pouvoir libérer de l’espace, et s’ouvrir grâce à la respiration. La force n’est pas dans le « passer en force », car cela ne doit aucunement faire mal, mais le travail se fait dans le renforcement de son corps, afin d’en augmenter ses capacités. Parler du centre, c’est aussi, comprendre sa nécessité et à quel point cette force peut-être utile dans notre vie quotidienne.

« Le centre est une clé pour la vie. » - Sandrine

 Laura Rivet, chercheuse pour le Paris Lab

Rafael Molina
SAISON 2 - GRAHAM & FELDENKRAIS (4-5 février)

5ème Pratique Croisée - Saison 2 - Graham & Feldenkrais (4-5 février)

« Au moment où vous sentez que vous n’avez plus de curiosité, faites une pause. » - Sara

Conseil donné par Sara Lindon, praticienne de la méthode Feldenkrais, et intervenante du week-end en  binôme avec Benjamin Gaspard, professeur de Technique Graham.

Animée par l’envie de se reconnecter à son corps, Catherine s’est inscrite à la Pratique Croisée Graham & Feldenkrais du mois de février, après une longue période passée sans danser et une prise de poids. Elle rencontre alors, Félicie - qui après une formation de danseuse classique, s’est tournée vers de nouvelles pratiques corporelles pour rester en contact avec le monde de la danse qu’elle aime - ou encore Dominique - novice dans les deux pratiques, mais voulant tenter l’expérience.

« Je suis là en exploration, mais j’ai très envie » - Déborah.

DE NOUVEAUX CHEMINS VERS LE MOUVEMENT EN FELDENKRAIS

« Ce week-end représente 2 séances pour 1000 échantillons possibles. » - Sara

Le Feldenkrais est une méthode inventée par Moshe Feldenkrais, un ingénieur, physicien et inventeur, qui pratiquait les arts martiaux et étudiait le développement humain. Grâce à des études en biomécanique et à une rééducation qu’il a effectué sur lui-même, il développe une méthode qui analyse l’organisation du corps humain, en particulier dans l’organisation corporelle d’un enfant de sa naissance à la marche. Le Feldenkrais veut surprendre le système nerveux, les mouvements de la pratique sont lents et petits afin de prendre conscience des chemins musculaires et aucun mouvement n’est reproduit deux fois dans la pratique. La capacité de comprendre la manière dont on s’organise, et de sentir le mouvement, augmente les degrés de sensations.

« Le Feldenkrais est un outil, pour faire mieux, ce que l’on a envie de faire. » - Sara.


UNE DÉCONSTRUCTION DE PRATIQUE POUR DES DANSEURS


Le Feldenkrais, s’il est un outil pratique pour les danseurs, est aussi un outil questionnant la pratique de la danse en elle-même. Ainsi, l’intérêt se trouve dans le fait de ne pas réussir quelque chose. Mais cela peut-être contraignant pour des danseurs. Tout comme le fait de travailler sur des mouvements fonctionnels, en évitant tout mouvement parasite ou de donner au geste une dimension esthétique. Pourtant, si l’on parvient à comprendre et à utiliser le mouvement fonctionnel dans la danse, cela amène de la force à son mouvement. Certains idéaux sont bouleversés, comme celui du cours de danse où chaque danseur imite et reproduit à la perfection ce que le professeur mentionne ou montre. Par le biais du Feldenkrais, on comprend que chaque personne, s’organise en fonction de son corps et trouve ses propres chemins, le geste identique entre individus étant alors impossible.

« Mais qu’est-ce que c’est que ces sensations. Fluidité et facilité qui m’a séduite. » - Sara

Le Feldenkrais est une traversée dans le mouvement même, le mouvement pur… Qui porte tout individu vers une nouvelle vision de son corps en mouvement, mais surtout de soi-même. Rafael Molina, directeur artistique de Graham For Europe, rappelle que tout danseur, au début de sa pratique, ne sait pas d’expérience qu’il ne faut rien passer en force. Et qu’il n’est pas toujours évident d’être en capacité de visualiser son corps, pour travailler avec.

« Ce qui est beau dans le Feldenkrais, c’est que l’on apprend sur le mouvement, mais aussi sur soi » -Rafael.

REVISITER SON MOUVEMENT, SON CORPS, ET LA TECHNIQUE GRAHAM.

« Peut-être que cela va se refermer demain ? Il faudra que je le réouvre. » - Anna

Les dynamiques du Feldenkrais ont croisé celles de la Technique Graham, ce qui eu pour effet de bouleverser les perceptions des participant•e•s, et qui transforma le cours de danse en expérience sensorielle.

D’après Benjamin Gaspard, la recherche de force n’est pas nécessaire dans la pratique du Graham, contrairement à ce que l’on pourrait croire, et aux stigmas qui lui sont souvent attribués. Il faut même au contraire, laisser le corps réagir. Au travers de l’étude des chutes dans la Technique Graham, Benjamin Gaspard a invité les participant•e•s à conscientiser comment le mouvement de la « chute » est utilisée en danse. « On apprend à tomber pour ne jamais tomber », commente Benjamin Gaspard, citant l’une de ses professeures de la Martha Graham Dance School de New York City, où il a appris la Technique.

« Il faut dé-grahamatiser » - Sandrine

Dans la pratique du Graham, vécue autour de la méthode Feldenkrais, Dominque a réussi à trouver des chemins plus en douceur, et même, à débloquer certaines tensions anciennes, qu’il avait ancré à l’intérieur de son corps et de sa pratique. Rafael a, quant à lui, trouvé que le cours de Technique Graham était plus « facile » suite à la pratique du Feldenkrais. Pourtant, il a vécu un cours de Technique qu’il a l’habitude de faire avec de nouvelles qualités, ce fut pour lui, comme faire un « nouveau Graham ». Ce week-end de Pratique Croisée fut rythmé par une atmosphère de lâcher prise. Mais en cela, il fut aussi porteur de relâchement, dans les tensions, les émotions, et dans les barrières singulières de chaque participant•e•s. L’idée était de se trouver soi-même dans son propre corps.

« Il est nécessaire que tout le monde ait accès au mouvement, c’est une urgence sociale. » -Sara.

Laura Rivet, chercheuse pour le Paris Lab

Rafael Molina
SAISON 2 - GRAHAM & FLAMENCO (14-15 janvier)

4ème Pratique Croisée - Saison 2 - Graham & Flamenco (14-15 janvier)


« On est tous vulnérables. Je vois les autres danser et je me dis, euh… Je vais faire quoi moi ? Et il suffit d’une minute, pour se sentir à sa place ». - Sophie


Au carrefour entre le Graham et le Flamenco, c’est le croisement de rythmes de vie, de forces d’énergie personnelles et universelles au travers de cultures ancestrales qui se sont rencontrées le temps d’un week-end.


UNE ATTIRANCE COMMUNE - Une Pratique Croisée fantasmée


La Pratique Croisée de janvier proposé par Graham For Europe, fut pour certain•e•s un « heureux hasard », comme l’a mentionné Dominique, aimant à la fois pratiquer la Technique Graham et écouter de la musique Flamenco. Valérie, c’est dit que c’était l’occasion de « passer de l’autre côté », après avoir tant regardé et admiré du Flamenco. L’introduction du week-end à mis en lumière les attirances communes des participant•e•s tous prêts et prêtes à se lancer dans deux pratiques fantasmées.


Qu’ils ou elles soient simples curieux•euses, danseur•euse•s amateur•ice•s, danseur•esse•s professionnel•le•s, musicien•ne•s, pédagogue de pratiques corporelles, chercheur•eues en esthétique, ou bien thérapeute du mouvement. Seul•e ou accompagné•e, d’un ami, ou même en famille, comme Hélène qui est venue avec sa mère, sa soeur et sa cousine. Ce croisement fut pour toutes et tous, une expérience pour soi. Au-delà des différences de niveaux, de parcours et d’univers, chaque personne a pu trouver une manière de s’enrichir.


« Qu’est-ce que l’on va garder ? Le lien, c’est à vous de le faire avec le mouvement. Les liens dans les ressentis vont vous appartenir. L’expression amène le mouvement, pas l’intellectuel. » - Christophe


ÉNERGIE UNIVERSELLE - Utiliser l’énergie extérieure à nous


Les deux intervenants, Rubèn Molina, en Flamenco, et Christophe Jeannot, en Technique Graham, avaient tous deux déjà expérimenté la pratique de l’autre. À partir de leur connaissances, ils sont parvenus à rapprocher les deux danses et à les connecter dans leur proposition et par la reprise de divers éléments venant de l’autre pratique du week-end.


Le cours de Graham a ainsi transformé le cours de Flamenco, en trouvant l’ancrage dans le sol, les participant•e•s étaient beaucoup plus stables, connectés à l’énergie de la terre, avec comme « un feu en eux » nécessaire dans le Flamenco. De l’autre côté, les émotions et les sensations recherchées dans le Flamenco, sont éprouvées grâce aux connexions, que Rubèn Molina a mis en avant, comme avec la musique, la culture espagnole et l’histoire que raconte cette danse. Rafael Molina, s’est donc demandé à la fin du stage, si cette connexion évidente avec l’invisible, n’était pas quelque chose qui s’était perdu dans la Technique Graham, qui a aussi, dans son intention, une connexion avec la terre et les éléments de la nature, mais aussi dans la « Mémoire de Sang », où la danse se lie au corps universel, et à l’héritage de sa culture.


« Je suis heureux de voir que dans le fond de pratiques ancestrales, on trouve un même noyau » - Dominique.


Les percussions et les rythmes, dans le Flamenco faisaient écho aux rythmes de la Technique Graham, dans les deux cas, porteurs de vécu, symbolisant les énergies de la vie humaine qui traversent les corps continuellement. L’importance du port des bras, prolongement de la spirale des lombaires aux cervicales, et l’ancrage dans le bassin se sont retrouvés dans les deux pratiques, telle une boucle. La même boucle, que celle que l’on peut imaginer entre les différentes cultures qui existent entre le Flamenco et la Technique Graham.


FLAMENCO = INFLUENCES AMÉRICAINES = TECHNIQUES GRAHAM = INFLUENCES CIVILISATIONS OCCIDENTALES ET ORIENTALES = FLAMENCO.


Lola, chercheuse en philosophie esthétique, rappelle que ces pratiques sont fortement liées à l’imaginaire. Cette symbolique, de contracter le périnée dans la Technique Graham n’est pas anodine, c’est comme un appel à la féminité.

« J’aime sentir cette universalité dans la danse » - Hélène


ÉNERGIE PERSONNELLE -  L’énergie interne tournée vers l’extérieur

« Je me suis presque sentie comme un oiseau, qui a besoin de s’ancrer pour mieux voler. J’ai trouvé assez d’ancrage dans ce stage pour presque m’envoler, et j’espère que je vais continuer à voler maintenant. » - Victoire


Comme des pratiques presque cathartiques, les dimensions universelles de la Technique Graham que l’on retrouve également dans la pratique du Flamenco parviennent à toucher différemment les individualités. Chacun•e, dans sa singularité peut être touché à un moment par cette traversée physique. L'utilisation des énergies ancestrales, culturelles, et universelles parvient à renforcer et à développer les énergies intérieures et singulières. Chaque danseur•euse•s parvient à exprimer son vécu dans ces pratiques.


Sophie, professeure de yoga et thérapeute, évoque que cet ancrage dans le bassin, présent dans les deux pratiques, permet une stabilité particulière, essentielle dans la communication. Cet ancrage, permet d’être plus stable, et cette force, permet un cheminement dans son corps, un voyage vers ce que l’on est. Chloé, les larmes aux yeux, explique que cette traversée fut très intense pour elle, cela lui a permis d’évacuer vers l’extérieur, des énergies internes.


MOTS CLÉS :

  • Communication non verbale • Incarner • Expressivité • Emotions • Visceral • Accepter • Découvrir • Vulnérable • « Magie » • « Trouver sa place »

Laura Rivet, chercheuse pour le Paris Lab

Rafael Molina
SAISON 2 - Graham & Tsigane (10-11 décembre)

3ème Pratique Croisée - Saison 2 Graham & Tsigane (10-11 décembre)

Croiser la pratique

Mais aussi les héritages, les cultures, l’histoire, le répertoire et le travail chorégraphique.

La rencontre entre la Technique de Martha Graham et la danse Tsigane s’était déjà effectuée l’année dernière, lors de la première saison de Pratique Croisée de Graham For Europe. Cette année encore, ce fut avec plaisir que Sophie Ménissier, professeure de danse Tsigane et Anouck Krajka, professeure de Technique Graham, se sont retrouvées, le temps d’un week-end, avec d’ancien•ne•s et de nouveaux•lles participant•e•s, pour réunir un groupe autour de jupes virevoltantes, de ports de bras enchaînés et autres petits pas rebondis, bondissant alors entre différents univers.

« Ce que j’apporte part de ce que j’ai reçu » - Sophie Ménissier

La Pratique Croisée est avant tout une rencontre, entre des professeur•e•s expert•e•s dans leur domaine, entre des participant•e•s danseur•euse•s amateur•e•s ou non, curieux•euses, et autre passioné•e•s de mouvement et de culture chorégraphique ou musicale.

« J’aime bouger » fut la phrase de Ninon qui se présenta aux autres.

« Je ne suis pas danseuse, mais j’aime beaucoup la musique », et c’est pourquoi Laetitia s’est inscrite au week-end.

Guidé•e•s par une envie, un désir profond voire une sensation mystique, le groupe se connecte durant deux jours aux deux techniques corporelles. Le partage se poursuit, et la pratique alternée de la danse Tsigane puis de la Technique Graham évoque alors certaines filiations, questionne les héritages culturels et les différentes qualités de mouvements expérimentées.

La danse Tsigane étant elle-même assez complexe entre les différentes cultures que la danse regroupe - telles les postures d’origines roumaines qui vont plus figer le buste, au contraire des influences indiennes qui insistent sur le mouvement des hanches et du bassin, ou encore entre le Tsigane plus rebondi sur les jambes qui contraste avec l’ancrage que l’on trouve dans le Flamenco - des liens furent pourtant mis en lumière avec la Technique Graham. Notamment au travers de l’idéal de Martha Graham de créer une danse universelle. La chorégraphe s’est inspirée des différentes cultures et autres aspects de l’histoire qui la touchait personnellement ce qui fut directement éprouvé durant le week-end à l’initiative des deux intervenantes, par le visionnage et la pratique de deux pièces de son répertoire d’œuvre : Chronicle (1936) et Dark Meadow Suite (1946). Durant sa carrière, « La mémoire de sang », est un concept que Martha Graham évoque pour rendre compte du mouvement que chaque homme a en lui, qui lui vient de ses ancêtres et de l’héritage que l’on a en chacun de nous. Ainsi, si l’on s’interroge sur ce qui unit l’humanité dans la danse depuis des siècles, ce qui fait communauté autour du mouvement, et cette question qui fut posée lors du week-end : pourquoi est-ce que l’on danse ? Les réponses se trouvent dans les étroits liens entre la danse Tsigane et la Technique Graham : par les corps humains tous similaires et pourtant singuliers, qui vont se retrouver autour de concepts de prières ou de rituels. Aussi, la figure du cercle présente dans les deux pratiques - qu’il soit constitué d’un ensemble de personnes, ou comme cercle d’énergie du corps - font écho à la giration de la Terre autour du Soleil.

« Ce rapport avec la terre, base qui lie toutes les Techniques de danse » - Anouck Krajka

La rapport à la terre et le lien avec l’enracinement du corps avec le sol, sont des principes de la Technique Graham que l’on retrouve aussi dans la danse Tsigane par l’importance du centre, ancrage au plus profond du corps pour ensuite explorer les mouvements à l’extérieur de celui-ci. Eloïse se demande alors s’il ne serait pas possible de fusionner les deux corps : un corps Tsigane et un corps Graham, pour activer de manière plus intense encore les connections entre ces deux langages différents qui dialoguent pourtant très bien.

« Ce que j’avais envie de vous offrir aujourd’hui, est en lien avec ce que propose Sophie. On dit qu’on propose une technique, mais on amène aussi quelque chose de nous. » - Anouck Krajka.

La découverte de ces deux pratiques a nécessité aux participant•e•s de s’y plonger, mais le fil conducteur du week-end, comme l’ont rappelé Sophie Ménissier et Anouck Krajka, était de se trouver soi-même. Malgré les logiques corporelles demandées, il est toujours intéressant dans un tel moment de partage de comprendre de quelle manière il est possible pour soi d’explorer et de trouver son propre mouvement. Des émotions intenses ont alors émergé, certaines ont parlé de véritable « révélation », comme l’exprime Anne : « Enfin quelqu’un qui parle mon langage, cette danse, c’est pour moi ! »

Le but de la Pratique Croisée, par son échange, le lâché prise qu’elle permet et l’esprit de groupe qui se crée autour des deux jours permet un être-ensemble, et une communion, ou les liens et les croisements ne se font pas seulement entre deux pratiques corporelles, mais aussi entre des singularités, des individus, des ressentis, et des émotions.

Laura Rivet, chercheuse pour le Paris Lab

Rafael Molina
SAISON 2 - Graham & Yoga (11-12-13 novembre)

2ème pratique Croisée - Saison 2
Graham & Yoga (11-12-13 novembre)


L’échange, le groupe, la bienveillance


Bienveillant, sincère, authentique. Un groupe se forme, des individualités se rencontrent et créent un ensemble de corps et d’esprits curieux•euses. Les expériences des un•e•s peuvent alors résonner avec les explorations des autres.


C’est en cercle que débute le week-end. Une remarque commune s’impose assez vite : à quel point les deux pratiques sont enracinées dans les corps, et servent de guide de vie, spirituel et physique.



• LE YOGA, UNE (RE)CONCILIATION


Pour Hélène John-William, artistique pluridisciplinaire, le Yoga représente une stabilité et un socle créatif. Cette danseuse adepte de la Technique Graham a consciemment organisé trois expériences de Yoga vers un univers presque grahamien : respirations dans le Yoga Pranayama du premier jour, Yoga du son le deuxième et Sophrologie le dernier jour.


Les participant•e•s ont été invité•e•s, guidé•e•s par la voix d’Hélène, à des respirations en conscience, à trouver les connexions traversantes de la colonne vertébrale et les spirales dorsales, du plancher pelvien au sommet de la tête, outils essentiels de la Technique Graham.


« Revenir dans l’être et ne pas être dans la représentation de soi »

-Hélène John William.


« On est là, et on fait avec ce que l’on a » conçoit Sophie. Dans la pratique, c’est la sensation de bien-être qui a principalement émergé. Des « corps magiques », comme l’a exprimé Rafael Molina, professeur de Technique Graham qui a participé au Yoga. Chloé explique qu’après 10 ans sans avoir dansé, elle a été surprise de n’avoir ressenti aucune courbature en trois jours, mais a trouvé ce qu’elle était venue y chercher : une reprise de la conscience de son corps, et l’écoute de ses sensations. La Technique Graham est entrée en résonance dans son corps, et elle a découvert une pratique, où elle n’a pas senti qu’elle était jugée comme dans d’autres cours de danse plus traditionnels où la virtuosité des corps fait loi. « On donne accès, on démocratise le cours de danse, pour tous et toutes », ajoute Sandrine.


• LE GRAHAM, UNE (RE)DÉCOUVERTE

La Technique Graham qui a été une découverte pour certain•e•s, fut une redécouverte pour d’autres. Ces initiés l’ont alors expérimenté avec le prisme suivant : l’importance et la conscientisation de la respiration, activée dans le Yoga.

A travers le Yoga, la Technique Graham dévoile son côté de guide spirituel et de vie. L’essence de la pratique, en dehors de toute virtuosité, est bien le but ici. On ne cherche pas à tout comprendre et à tout effectuer à la perfection, mais plutôt à s’approprier des éléments, les incorporer et comprendre la manière dont ils résonnent dans le corps.


« Et surtout, pourquoi. Pourquoi on danse, s’il n’y a pas de sens ? Pourquoi vous faites cette diagonale de triplettes ? »

- Rafael Molina


Le lâcher prise,

Déverrouiller.


Rafael Molina, directeur artistique de Graham For Europe, a fait vivre l’univers grahamien au travers des images très symboliques : des inspirations de l’Asie du sud est qui ont permis à Martha Graham de développer ses fameuses spirales, à la Pietà de Michel-Ange que l’on retrouve dans les pleadings. C’est également par le biais d’une recherche d’animalité dans le corps qu’il est parvenu à passionner certain•e•s.


« Elle s’inspire des mouvements des animaux. Quand Martha évolue sur scène, elle est presque animale dans ses gestes. Les animaux attirent sa curiosité, elle les observe longuement et copie leurs mouvements. Pour Martha, le corps d’un animal n’est jamais laid tant qu’il n’est pas domestiqué. C’est pareil pour le corps humain. […] Quand elle insiste sur la nécessité d’écouter son corps, elle ne manque pas d’évoquer ce lion au commencement des films de la MGM. ‘’Il se tourne pour écouter sa propre vie intérieure.’’ »

- Claudie Servian, Martha Graham : une fleur de serre exotique. Editions Publibook, 2014, p. 6 et p.69



• MOT DE FIN

« Merci, c’est comme un cadeau », dit en souriant Hélène John-William lors l’échange. À sa suite, Rafael Molina conclut que cette Pratique Croisée est celle qui faisait le plus sens, avec des liens évidents entre le Yoga et la Technique Graham (respiration, conscientisation). La proposition de la Pratique Croisée permet de pouvoir zoomer ou de-zoomer sur les différents éléments des deux pratiques corporelles, tout en laissant des outils à conserver pour soi-même. C’est, selon lui, ces doubles pratiques qui ont le meilleur potentiel pour donner une postérité à la Technique Graham et la régénérer.


"On a le temps,

On pose un regard,

Tout le monde est dans une posture de recherche. »

- Rafael Molina.


Laura Rivet, Chercheuse pour le Paris Lab & Rafael Molina, Directeur artistique

Rafael Molina
SAISON 2 - Graham & Beamish (8-9 octobre)

1ère Pratique Croisée - Saison 2 Graham & Beamish (8-9 octobre)

Pour construire sa Technique éponyme, Martha Graham a utilisé son propre corps comme base de connaissance. À partir d’elle, de ses sensations, et la compréhension de son intériorité, Martha Graham provoque l’extérieur, son mouvement va vers les autres, et l’ensemble des danseur•euse•s, autant que pour les autres, sur scène.

« L’art du danseur est bâti sur une attitude d’écoute, qui implique tout son être. […] J’évoque la nécessité d’écouter son propre corps. »
- Graham, Martha, Mémoire de la danse. Traduit de l’américain par Christine Le Boeuf, Babel, 1992


  • PREMIÈRE CONNEXION

Le premier week-end de Pratique Croisée de la saison, à voulu mettre l’accent, sur l’importance de l’écoute et le travail de conscientisation du mouvement, une partie essentielle de la Technique Graham.

« Je cherche l’avidité, la soif de vivre, une mémoire du sang dont le danseur se souvienne, lui permettant d’invoquer davantage de vie que ce qu’il ou elle a déjà vécu. Il doit y avoir… une volonté d’explorer des sentiments inconnus, l’audace de les ressentir et de les laisser devenir une partie intégrante de son être. C’est effrayant. C’est terrifiant. Mais on le fait parce que l’on n’a pas le choix. - Martha Graham. » »

- Legg, Joshua. Introduction aux techniques de danse moderne. Cunningham, Dunham, Graham, Hawkins, Horton, Humphrey, Limon, Nikolais/Louis, Taylor. Traduis de l’anglais par Laure Valentin, Gremese, 2014, p. 27


Ainsi, le Beamish Body-Mind Centering, proposé par Wayne Byars, a rencontré durant 2 jours la Technique Graham de Jean-Baptiste Ferreira. Dès les premiers minutes, Wayne Byars, nous propose, debout, de fermer les yeux et de tendre les bras à l’horizontal, essayant de les étirer au maximum. Laissant tomber un bras, l’exercice consistait à s’imaginer toucher le mur opposé avec la pointe de nos doigts, tendus au bout du bras resté en place. Les mains sont invitées à traverser le mur, jusqu’à toucher les fauteuils sur lesquels nous étions avant d’entrer dans le studio. Les yeux fermés, nous sentions la texture de ces derniers, nous visualisions leur couleur. Après un instant dans le silence, Wayne nous rappelle au moment présent, et nous propose d’ouvrir les yeux, puis de tendre les deux bras devant nous. Des soupirs ébahis fusent alors dans le studio. Avec étonnement, le bras que nous avions tendu dans notre imaginaire avait gagné cinq centimètres de plus que l’autre. « C’est ça la force de l’esprit », ajoute simplement Wayne.

Par un seul et unique exercice, Wayne a tout de suite transmis l’intérêt et les fondamentaux de la pratique corporelle des deux jours à suivre : Le Beamish Body-Mind Centering est une boîte à outil pour les danseurs, comme les nombreuses pratiques somatiques dont il fait partie, il permet une prévention du corps et une compréhension plus large. En effet, il est possible de se concentrer sur une partie qui peut traverser des difficultés par exemple, et les résoudre par le Beamish.

« Ma mission est de transmettre partout et autant que je peux. Il faut être patient, aller vers, rester, écouter. Cela fait du bien, pour des danseurs de tout genre », affirme Wayne Byars.


  • SE RETROUVER DANS SON CORPS, LE TRANSCENDER DANS LA DANSE

« Cela m’a permis de retrouver mes repères debout, plus axée dans mon corps. », ajoute Audrey.

Les exercices traversés durant la partie Beamish du stage ont fait écho aux exercices de Technique Graham. Des similarités se sont faites entre le « cercle du coccyx » et le « cercle du coeur » en Beamish, avec la Contraction de la Technique Graham. En Body-Mind Centering, l’exercice consistait à respirer en conscientisant un cercle du coeur au coccyx, et dès les premiers exercices de la Technique Graham comme les Bounces et les Breathings, le lien s’est fait par la même utilisation de la respiration et du faire en conscience. Les participant•e•s, les plus initié•e•s en Technique Graham, qui par habitude, pensent la contraction comme une « scoop under », l’ont pour la première fois pensée dans l’autre sens, grâce à l’exercice du Beamish.

L’approche somatique du mouvement initié dans la premier partie du stage au travers du Beamish Body-Mind Centering, est en lien avec l’organicité présente dans la Technique Graham, et a permis aux participant•e•s de mettre en lumière cette partie du travail de Martha Graham, ce qu’il n’aurait pas eu l’occasion de faire dans un contexte plus traditionnel de cours de Technique Graham.

« Le facteur de connexion entre le paysage intérieur et le mouvement physique, comme Eilber le souligne, est que la technique de Graham est sous-entendue par la puissance de son travail central. Le souffle, la contraction, le mouvement des hanches et des spirales influencent et dirigent les extrémités. […] Elle se construit dès le travail au sol du début de classe, jusqu’aux sauts de fin. Eilber expliqua : « […] Chaque mouvement doit avoir des buts basés sur des idées émotionnelles et conduisant à l’expression physique. Quand je donne un cours, je propose souvent aux étudiants de construire un catalogue émotionnel, afin qu’ils puissent être conscients de ce qui les touche émotionnellement. Ces notions peuvent être conservées pour un emploi ultérieur, en classe ou dans leur travail sur scène.
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Legg, Joshua. Introduction aux techniques de danse moderne. Cunningham, Dunham, Graham, Hawkins, Horton, Humphrey, Limon, Nikolais/Louis, Taylor. Traduis de l’anglais par Laure Valentin, Gremese, 2014, p. 29


L’enjeu de la Pratique Croisée s’est reflétée dans les connexions entre respirations, énergies, et flux, retrouvées dans les deux pratiques corporelles. Ainsi que les nouveaux liens qui ont été trouvés tout au long des deux jours. Ce lien de vie, chacun•e a pu l’exprimer différemment, surpris •e•s de découvrir de nouvelles choses, de prendre goût à former un puzzle corporel. Les participant•e•s ont finalement pris goût à la découverte de leur corps, et à son appropriation. La respiration comme un soutien, le corps enraciné dans la vie et le moment présent de la Pratique Croisée.

Laura Rivet, chercheuse pour le Paris Lab

Rafael Molina
COMPTE-RENDU : WEEK-END 9-10 MARS 2022

7e pratique croisée, Graham & Feldenkrais

Graham For Europe propose pour le mois de mars, un week-end au croisement entre la Méthode Feldenkrais et la Technique Graham. Les participant.e.s ont pu, pendant deux jours, explorer les liens implicites en alternant une pratique à la suite de l’autre.

Dès le début, une question s’est posée : un lien, existe-il déjà entre Moshe Feldenkrais, l’inventeur de la méthode éponyme, et Martha Graham, « prêtresse de la danse moderne » qui a développé et donné son nom à la Technique Graham ?
Un lien direct n’était pas connu des participant.e.s ou des professeur.e.s - Molly Schaffner en méthode Feldenkrais, et Jean-Baptiste Ferreira, professeur de Technique Graham - mais c’est finalement par l’envie de croiser les liens par notre propre expérience dans les deux pratiques, que s’est initiée ce nouveau week-end de pratiques croisées.

L’écoute singulière vers la pratique commune

Moshe Feldenkrais a pensé sa pratique, d’abord par l’écoute de son propre corps, et par ses propres besoins pratiques, notamment après une blessure au genou qu’il a surpassé en se tournant seulement vers son propre potentiel. De la même manière, Martha Graham forge sa Technique d’après les ressentis de son propre corps de femme. Son vocabulaire se détaille au fur et à mesure de ses besoins, d’après son expérience singulière. C’est à partir du même point de départ qu’a commencé le week-end de pratique : le ressenti dans le corps de chacun.e. Suivant les instructions guidées par la voix de Molly dans sa proposition de prise de conscience par le mouvement, (une des manières d’appréhender la méthode Feldenkrais) chaque individu était au sol, à l’écoute de son propre corps. Les yeux ouverts, ou fermés, l’important était l’écoute de soi, dans un mouvement qui ne nécessitait que très peu d’effort, afin de prendre conscience de la manière dont le corps s’organise lors d’un mouvement.

La première qualité que Molly annonce dans son explication sur la méthode Feldenkrais, est l’idée d’organisation harmonieuse du corps. Celle-ci, permet de trouver l’énergie minimale pour effectuer un mouvement au résultat optimal. Pour cela, Moshe Feldenkrais s’est beaucoup inspiré de la pratique du Judo. Les art martiaux ont également influencé Martha Graham, dans son souci d’aborder des mouvements permettant l’efficacité de sa Technique et d’activer une énergie-puissance à l’intérieur du bassin. Cette recherche d’harmonie et d’efficacité en conscience, fut l’expérience la plus centrale de la pratique du week-end, car elle s’est retrouvée à la fois dans la méthode Feldenkrais lors du premier jour, que dans la Technique Graham enseignée le deuxième jour. En effet, le samedi, Molly a guidé les participant.e.s au sol, dans un mouvement où les membres se repliaient vers le centre - coudes et genoux se touchant dans l’expiration - avant d’inspirer et d’étendre dans un mouvement opposé, les extrémités du corps le plus loin possible. Le deuxième jour, Jean-Baptiste, détaillant la figure mythique des Pleadings en Technique Graham, a utilisé l’expérience du Feldenkrais pour montrer de quelle manière, le corps se « rétrécit » par l’expiration et la contraction, avant de s’étendre dans l’inspiration et le release.

La découverte et l’approfondissement des deux pratiques au fil des jours

La recherche de la conscientisation du corps dans les deux pratiques a différencié le premier du deuxième jour du week-end. En effet, les deux techniques développent une écoute intérieure très particulière, dont un long travail au cours du temps, facilite la compréhension. Certaines participant.e.s ont révélé que le deuxième jour était plus bénéfique, car il leur a permis d’aller un peu plus loin dans l’expérience d’écoute. Et en ce sens, le travail en Technique Graham du deuxième jour, ayant anticipé la pratique du Feldenkrais, leur a permis de s’organiser de manière corporelle et mentale comme il est nécessaire dans un cours de danse, avant de pouvoir rentrer dans une réalité physique plus conscientisée. À l’inverse, d’autres participant.e.s ont aimé l’idée de commencer par la pratique du Feldenkrais, comme ce fut le cas lors du premier jour, afin d’appréhender la Technique Graham de manière plus sereine.

Dans les deux cas, les participant.e.s ont découvert quelque chose lors de ce week-end. Ceux qui connaissaient déjà la Technique Graham n’avaient aucune idée de ce que pouvait être la méthode Feldenkrais, et cela s’est révélé utile dans leur pratique. Ils et elles ont pu sentir, de quelle manière il était possible de relâcher des tensions, ainsi que de véritablement sentir le poids du corps, ou la manière dont il peut s’allonger. À l’inverse, les participant.e.s ayant déjà pratiqué la méthode Feldenkrais, n’avaient jamais fait de Technique Graham, et beaucoup était heureux.se de découvrir un univers totalement nouveau et riche d’un vocabulaire spécifique. Chacun et chacune, venant avec son individualité et ses sensations, a pu d’une manière ou d’une autre, entrer dans le week-end et s’enrichir d’éléments nouveaux, par la proposition du lien entre les deux pratiques.

Laura Rivet, assistante de recherche du ParisLab

Rafael Molina
compte-rendu : week-end 18-19 février 2022

6e pratique croisée, Graham & Tsigane

Ce week-end, grâce à la pratique croisée de février proposé par Graham For Europe, les multiples influences de cultures étrangères qui ont toujours fasciné Martha Graham dans sa vie et dans son œuvre, se sont révélées en se confrontant à la danse tsigane. Plongées dans l’histoire des cultures d’Europe de l’Est, de tissus épais et virevoltants, de divers personnages dramatisés en contraction, les participantes ont dansé, le temps d’un atelier, entre deux mondes.

Un filtre de culture tsigane pour redécouvrir la Technique Graham

Le samedi, c’est avec Sophie Ménissier, professeure de danse tsigane, que commence la première pratique du week-end. La première approche est culturelle et contextuelle. La danse tsigane fait partie d’une culture, et peut être dansée en étant comprise dans son contexte. Elle explique que le plus souvent dansées au sein de communautés, les danses tsiganes s’organisent en cercles, où les participants et participantes dansent au centre, entouré.e.s et porté.e.s par la force des autres autour. Durant la pratique, Sophie Ménissier organise le groupe sans forcément suivre l’idée de cercle et propose de traverser diverses cultures, qui, même regroupées sous l’appellation de « danse tsigane », se différencient en fonction des régions géographiques. Les pas traditionnels russes résonnent sur le chant d’une soliste albanaise avant d’enchaîner sur des pas rebondis au rythme d’une prière juive.

Sophie Ménissier transmet les bases de la danse tsigane aux participantes, avant d’apporter à ses mouvements d’énormes jupes revêtues par chacune des participantes. Elles agrandissent chaque mouvement, amènent une prestance, mais provoquent aussi une exactitude dans le positionnement de chacune des danseuses. La jupe ramenée au cou par la main, cambre légèrement le dos et ouvre la zone du plexus, à l’avant du corps. Chaque participante alors légèrement cambrée acquiert grâce à la jupe, la position exacte, plus difficile à trouver sans le costume. Chaque jupe est unique, et leur fabrication très spécifique, consister à coudre trois cercles de tissus ensemble, les uns sur les autres.

La figure du cercle, qui semble être omniprésente dans le week-end, a trouvé sa place jusque dans la Technique Graham. Suite à la pratique tsigane, et l’effet de groupe qui s’est créé entre les participantes, Anouck Krajka, professeure de Technique Graham, propose de conserver l’organisation naturelle dans laquelle les élèves attendaient le début du cours : en cercle. Ainsi, la pratique de Technique Graham a conservé cette organisation tout au long de la pratique, au lieu du traditionnel quinconce.
Le cercle n’était qu’un des premiers effets que la pratique du tsigane a eu sur le Graham, par la suite, les deux professeures ont noté de nombreux liens entre les formes de la Technique Graham, et les pas qui existent en danse tsigane. En croisant les deux pratiques, les codes et le vocabulaire traditionnel de la Technique Graham, s’est vu transformé d’après le filtre de la danse tsigane. Les Prances, pas marché de la Technique Graham qui ressemblent à la démarche de chevaux en spectacle, ont fait écho, selon Sophie Ménissier, à des pas de danse géorgiennes. Les Géorgiens étant un peuple de cavalier, leurs mouvements reprenaient souvent une esthétique liée au domaine équin. De la même manière, Anouck Krajka a utilisé l’expérience de la jupe dans la pratique précédente, afin de parvenir à retrouver une sensation similaire dans le dos jusqu’à la fameuse Spiral, de la Technique Graham. Les Step Draw, autre style de pas développés par Martha Graham, marquent une arrêt franc et direct du pied en demi-pointe, ramené vers l’autre. Cette dynamique évoque le travail des pieds en danse tsigane.

La Technique Graham pour penser la danse tsigane

Par ailleurs, l’utilisation des jupes a révélé d’autres liens entre les deux pratiques. Si elles sont l’essence de la danse tsigane, les jupes sont aussi très importantes dans le travail de Martha Graham. La chorégraphe s’est servi de jupes et autres costumes pour développer des mouvements corporels alors amplifiés sous le tissu, mais aussi pour incarner des personnages. Martha Graham a créé ses costumes comme elle a créé ses personnages : à partir d’elle-même et de ses ressentis, s’aidant du textile pour développer une dimension narrative. Cette idée s’est développée dans la pratique tsigane, où les participantes sont parvenues à rentrer dans des personnages et à incarner leur danse grâce aux jupes. De plus, Sophie Ménissier a proposé de lier l’imaginaire tsigane à la Technique Graham en proposant un parallèle avec Appalachian Spring. Cette œuvre de Martha Graham, met en scène des communautés du sud des États-Unis. Au fil des questionnements des participantes, la professeure de danse tsigane a développé la dimension narrative qui est un élément qui peut se retrouver dans la danse tsigane, notamment au niveau des paroles des chansons utilisées. Le plus souvent tristes, les chansons racontent parfois aussi des éléments de la vie quotidienne des communautés, l’une d’entre elle parlait d’une recette de polenta par exemple.

L’imaginaire des deux pratiques s’est alors croisé le temps d’un week-end, utilisant le vocabulaire de Martha Graham pour incarner des personnages venant de communautés d’Europe de l’Est. Il est né des deux pratiques, des personnages avec des caractéristiques communes : à la fois fiers et humbles. Les danseuses se sont alors nourris du croisement des deux pratiques, pour former une danse « complète » selon elles, enrichie par l’imaginaire des deux univers. Un questionnement commun a conclu cette pratique du mois de février : n’est- il pas possible de relier n’importe quelle pratique ? Avec la danse comme point de départ, n’importe quelle pratique ne peut-elle pas toujours en éclairer une autre, selon les divers aspects qui la composent ?

Laura Rivet, assistante de recherche du ParisLab

Rafael Molina
compte-rendu : week-end 11-12 décembre 2021

4e pratique croisée, Graham & Cunningham

Le mois de décembre a clos l’année en grande pompe, mettant en perspective Graham et Cunningham, deux pratiques avec des liens historiques et personnels forts. Elles ont été confrontées au-delà des clichés… car les clichés, que ce soit sur le travail de Martha Graham comme de Merce Cunningham, il y en a beaucoup (trop) ! 

L’expérience des deux professeurs, leur expérience de chaque technique respective mais surtout du répertoire (répertoire Cunningham pour Anna Chirescu au CNCD d’Angers sous la direction de Robert Swington et répertoire Graham pour Jean-Baptiste Ferreira au sein de Graham 2 à New York) leur permet d’avoir une approche qui n’est pas scolaire mais qui est bien artistique, connectée à la vision du créateur et de sa philosophie. 

Bien qu’assujetti à des principes philosophiques, un processus de travail et des chorégraphies radicalement différents, la technique de Merce Cunningham représente une évolution de celle de Martha Graham. Il y a bel et bien une continuité. À la suite de sa formation qu’il a directement reçu de Martha Graham, en tant que danseur dans sa compagnie, Cunningham n’a pas gardé le travail au sol, pourtant fondateur et iconique chez Graham. Il s’est aussi éloigné de la construction d’une gestuelle « organique », explorant toutes les directions et possibles du corps humain. 

Chez Graham en effet, la contraction appelle le release, la spiral dans un sens celle dans le sens inverse ; ce déroulement logique ne peut être contourné. Mais doit-on pour autant, chez Cunningham, abandonner toute recherche d'organicité du mouvement dans cette suite des évènements souvent imprévisible et inattendue ?
La fameuse contraction Graham prend soudainement toute son épaisseur : aux côtés du Cunningham, elle n’est pas qu’une curve du dos. Elle est une action, modulable en terme d’énergie et de couleur, qui peut s’explorer dans des qualités différentes (celle qui pèse, celle qui suspend, etc.)
Enfin, le travail plus en globalité du Cunningham a également contrasté à la « séquentialité » du Graham.]

En Cunningham, il n’y aurait pas de question d’expressivité, d’implication émotionnelle et d’intensité dramatique, comme en Graham. Il y a simplement des gens qui dansent, dans leur humanité. Si certains ont apprécié le caractère passionnel et « feu intérieur » du Graham, ils apprécient par ailleurs aussi le Cunningham dans une qualité plus diffuse d’énergie, dans un déploiement. 

Le point commun des deux pratiques de ce week-end :

  • l’envie de se nourrir de produits artistiques et pédagogiques de chorégraphes majeures du 20e [ème siècle], enrichis par plusieurs générations de danseurs-pédagogues

  • le cadre bienveillant avec des professeurs dont l’expérience d’une tradition n’entrave en rien leur ouverture d’esprit et exploration personnelle. 

Rafael Molina, Directeur Artistique de Graham For Europe

Rafael Molina
compte-rendu : week-end 13-14 novembre 2021

3e pratique croisée, Graham & Yoga

Le professeur a demandé aux participant.e.s de se mettre en tailleur et de fermer les yeux. ll leur a proposé de joindre nos mains en dessous du nombril, afin d’essayer dans un premier temps de joindre leurs énergies vers cette région connue pour être le centre de gravité du corps dans diverses pratiques dansées. Cette connexion vers « le centre de soi », n’est que le début d’une ascension qui se poursuit vers « le cœur », les mains remontant sur la poitrine et toujours jointes se déposant en dessous du sternum. Le point culminant sera « le troisième œil », troisièmes et dernières étapes de cette proposition spirituelle.

Le développement de la Technique Graham et de son enseignement a vu émerger une branche particulière, en lien avec la curiosité spirituelle de son auteure, intéressée par une spiritualité profonde, une connexion aux énergie, qui nous sont à la fois propres mais aussi extérieures. Il est parfois possible d’utiliser le concept de chakras dans la Technique Graham, pour conscientiser les énergies du corps et de l’âme. 

Cette quête énergétique, spirituelle, sensorielle et le lien avec les chakras ne sont pas sans rappeler une pratique venue d’Inde qui s’est également développée dans le monde et dans la culture occidentale, dont a fait partie Martha Graham. C’est notamment dans sa formation de danse à la Denishawn School qu’elle a pratiqué le Yoga et intégré ses principes. Il était si naturel, pour l’équipe de Graham for Europe, de proposer un troisième week-end de pratique croisée autour du lien qu’il existe entre le Yoga et la Technique Graham.


« Martha Graham est un mystère pour moi ». 

Si pour certain.e.s, Martha Graham se présentait comme un mystère au début du week-end, pour d’autres, c’était la pratique du Yoga qui leur paraissait énigmatique. Par l’intermédiaire des deux intervenants du week-end ; Gildas Lemonnier, qui a dansé pour la Martha Graham Dance Company et professeur de Yoga ainsi que Hélène John-William artiste danseuse, comédienne et chanteuse, que le voile s’est levé sur ses pratiques a priori peu saisissables. La créativité et la diversité des savoirs des deux professeurs ont permis d’enrichir deux jours de partages, d’échanges oraux et sensoriels autour des émotions et des sensations communes à tout un chacun. 

  • Un voyage vers soi

« La danse est comme un voyage ».

Le week-end a débuté par la pratique du Yoga. Hélène John-William a démontré aux participant.e.s l’importance d’un état de conscience presque permanente, leur permettant de développer une perception spatiale du corps toute particulière et enrichissante dans une pratique dansée. Après une pause, l’enchaînement d’un cours de Technique Graham dispensé par Gildas Lemonnier a révélé des liens évidents : dans la connexion au sol, aux énergies, mais aussi dans le rapport au centre du corps et l’initiation du mouvement dans le bassin, autant en Yoga qu’en Technique Graham. 

« Un œil ouvert à l’intérieur de soi ».

Le constat est fait, il est possible de construire son corps dans le mouvement à partir d’une recherche intérieure. La conscientisation se fait sur la colonne vertébrale, telle un tronc d’arbre, qui au centre du corps, regorge de toute l'énergie de vie intérieure. D’ailleurs, l’arbre de vie est un symbole utilisé par Martha Graham, dans les premières lignes de son autobiographie, Mémoire de la Danse, démontrant que la respiration intérieure du corps est liée à l’énergie de vie en chacun de nous. Selon Gildas Lemonnier, il est parfois difficile de comprendre ce qui se passe en nous, d’autant plus que nous sommes toutes et tous différent.e.s.. Il lui a fallu du temps avant de trouver pour lui-même ce que signifiait la figure la plus mythique de la Technique Graham, le contract release. « Comprendre, c’est sentir dans le corps avant l’extérieur » dit-il, il est essentiel de revenir à soi dans un premier temps, par la conscientisation du geste, avant même d’être en mesure de saisir la complexité extérieure de notre rapport à nous-même. 

  • Un chemin vers l’extérieur

« L’apparente extériorité »

Ce retour à soi dans un premier temps, permet de donner au mouvement de l’individu une qualité essentielle et propre. Cette liberté trouvée à l’intérieur de chacun des participant.e.s, les a rendu aptes à expulser leurs énergies intérieures dans l’espace, ce qui, revient à définir un sens que l’on peut donner à la danse : une expulsion extérieure dans l’espace, d’un sentiment intérieur. 

« La bienveillance du groupe »

Ce fut la remarque commune relayée lors du temps d’échange final du week-end. Le rapport aux autres peut être difficile, ainsi que le rapport à un soi extérieur, comme celui que l’on voit dans un miroir. Pourtant, c’est par un premier rapport à soi que les participant.e.s ont pu développer un lien particulier vers les autres et l’extérieur. La bienveillance des deux professeur.e.s fut un atout majeur et une aide précieuse pour chaque personne, qui a pu évoluer dans une ambiance sereine et à l’écoute. 

Selon Hélène John-William, il existe plusieurs sphères spatiales et cognitives dans lesquelles nous évoluons tout au long de notre vie. La première est physique, la seconde est émotionnelle et la troisième et dernière est spirituelle. Le troisième week-end de pratique croisée proposé par Graham for Europe, fut l’occasion de naviguer entre ses différentes sphères, mais aussi entre des espaces physiques et émotionnels. La Technique Graham se liant au Yoga, il a été possible de franchir les limites du traditionnel cours de danse, tout autant que les limites personnelles que chaque individu porte en soi. 

Laura Rivet, assistante de recherche du ParisLab

Rafael Molina
COMPTE-RENDU : WEEK-END 9-10 OCTOBRE 2021

2e pratique croisée, Graham & Gaga

• L’enjeu du croisement

Ce second week-end de pratique croisée s’est tourné vers deux espaces géographiques bien précis : entre l’Israël et les États-Unis. C’est par l’intermédiaire de deux figures majeures de la danse moderne et contemporaine actuelle, dont les pratiques sont aujourd’hui aussi reconnues que leur nom, que le Gaga d’Ohad Naharin et la Technique Graham de Martha Graham se sont rencontrés. Le choix de lier ces deux pratiques n’est pas anodin, car une histoire commune relie profondément les deux pratiques. L’influence majeure de Martha Graham en Israël et son choix d’y co-créer une compagnie (la Batsheva Dance Company) avec la baronne De Rotschild, ont permis une extension du monde grahamien et le développement de l’importance accordée à la danse dans le pays. Ohad Naharin en est l’un des héritiers, d’un point de vue personnel et institutionnel. Ainsi, les participants du week-end n’ont pas seulement croisé deux techniques, mais également deux histoires, deux maîtres, et deux espace-temps.

• Le jeu de la pratique

Rafael Molina, professeur de Technique Graham, l’annonce dès le premier temps d’échange du week-end, les processus des deux pratiques se ressemblent. Delphine Jungman, Gaga Teacher, et seconde intervenante du week-end le confirmera. Les deux pratiques s’enrichissent du présent, dans la nécessité d’être et de ressentir le moment où l’on danse, afin d'expérimenter, de vivre et de "savourer" intensément le mouvement. Ce dernier devient nécessaire, vital, il est là. Présent d’abord en soi, le mouvement initié dans le corps rencontre l’extérieur et se renforce dans le collectif. Les individualités de chaque participant deviennent comme des cellules animant un corps commun. Finalement, les pratiques prennent vie sous nos yeux.

Les appréhensions de certains participants considérant, au début du week-end, la Technique Graham comme « trop difficile », ou avouant que le Gaga « faisait peur » par sa continuelle improvisation, se dissipent. Le Gaga ou le Graham ne répondent plus aux clichés figés dont ils peuvent parfois faire l’objet, mais deviennent les outils nécessaires permettant une écoute particulière du corps. S’opposant ainsi aux premières appréhensions et au besoin d'être rassuré sur sa place au sein du groupe et de ces pratiques, le second temps d’échange clôturant le weekend témoigne de l’émergence d’une circulation d’énergie collective et nouvelle. Certains avaient « encore faim » d’apprendre, quand d’autres ont été rassurés par l’approche globale, accessible et bienveillante transmise dans les deux pratiques.

Le langage verbal laisse place à l’écoute du mouvement, l’histoire s’est actualisée dans le présent et la danse a réuni le temps d’un week-end des participants amateurs, des danseurs professionnels ou autres artistes et curieux grâce à la pratique croisée proposée par Graham For Europe.

Laura Rivet, assistante de recherche du ParisLab

Rafael Molina
Compte-Rendu de la Conférence Inaugurale du Divan de la danse - 10/09/21

Inauguration du Divan de la Danse

Pour le lancement du Divan de la Danse, Salim Rzin, danseur, psychanalyste et psychosomaticien, est venu nous parler de la place de l’expression individuelle dans la danse, du lien entre le corps et l’émotion, et de la transaction qui se joue entre le danseur et les autres qui l'entourent (les autres danseurs, le pédagogue, le chorégraphe) .

Il nous a paru particulièrement pertinent d’explorer, dans ce compte-rendu, ces trois axes — l’expression, l’émotion, la transaction — au prisme de la technique Graham.

« Le Graham est une invitation à l’incarnation, à être soi dans son cours »
« L’équilibre du Graham repose sur le caractère identitaire, mais qui permet la célébration de l’identité de chacun »
« Cette technique nous met face à nous, nous met face à des images, des sensations, une vulnérabilité »

Quelle est l’approche de la technique Graham face à la profondeur et à la justesse de l’émotion dansée ? Comment l’expression peut-elle à la fois être propre à chacun et transmise à tous ?  Nous avons lors de cette première conférence échangé autour de la notion d’individuation, de révélation à soi et à l’autre. Et mis le doigt sur l’enjeu interactionnel, intime, qui se joue dans chaque moment dansé.

« La présence de l’autre soulève la question de la place de l’autre, du respect de l’autre »

Alors comment, en tant que danseur, accepter de se révéler, trouver son langage propre, sa danse ? Comment se positionner face à l’autre, s’ouvrir aux danseurs qui nous entourent, respecter le collectif et se sentir reconnu dans son individualité ? Comment, en tant que pédagogue, accompagner l’émergence et la révélation de chaque danseur ?

« On n’est pas toujours à l’aise pour faire cette correspondance entre le corps et l’émotion. C’est le corps qui, à l’origine, renferme les émotions. On nous demande de nous révéler, de ressentir, c’est très vertigineux. »

Cette réflexion touche à l’enjeu d’articulation entre l’intellect et le corps, entre le mental et le ressenti dans la danse, pour développer un regard réfléchi face à sa danse. Et de s’accorder sur l’importance de mettre des mots sur le mouvement, de parler de danse dans les écoles de danse.

« Avant de sur-intellectualiser ce qu’il se passe dans le cours : il faut commencer par nommer ce qu’il se passe dans le cours »
« Pourquoi les danseurs ne parlent pas plus ? (…) Qu’est-ce qu’il se passerait dans les écoles, si on faisait parler les danseurs ? »

L’importance de la pensée critique, du questionnement, de la réflexion dans la danse, soulève un enjeu fondamental : la responsabilité et l’autonomie qui doivent guider les choix et l'apprentissage du danseur — qu’il s’agisse de la posture adoptée dans un cours, de l’écoute accordée aux critiques, de la soumission parfois consentie envers un professeur… là ou le professeur « donne » et l’élève « prend », la valeur de la « transaction » (transmission) dépend de la place que chacun est prêt à donner à l’autre. Et de rappeler la nécessité de réintroduire l’agentivité du danseur-élève dans son processus de formation.

« Les chorégraphes, les professeurs : c’est leur travail de transmettre, mais c’est à nous - danseurs - d’évaluer ce que ça va nous coûter »
« Pour un prof, plusieurs transactions se jouent dans un cours (…). L’élève doit se porter soi-même, on ne peut pas porter les autres »
« Beaucoup de choses circulent dans la salle, des énergies… qu’est ce qu’il faut réussir dans un cours ? (…) Le cours ressemble au prof alors qu’il devrait ressembler aux élèves »

Ces questionnements autour de la transmission, de l’agentivité du danseur et du chorégraphe, de l’individuation et de l’indépendance, ont naturellement permis d'ouvrir le débat sur à des réflexions socio-historiques surplombantes, autour de la notion de plaisir et de besoin, d’intime et de soumission, de symbolique et de rituel. Et de ne pas oublier d’être à l’écoute, de verbaliser nos gestes — les mots de notre corps — qui incarnent les traces de notre histoire.

« En tout le corps parle, tout le temps, parfois pour attirer notre attention, parfois pour communiquer avec l’autre, le corps parle avant vous »
« Dans votre danse, vous êtes homme, femme, vous êtes toutes ces personnes qui ont laissé une trace en vous »

Le Graham, loin d’être une technique étrangère à ces subtilités interactionnelles et émotionnelles qui façonnent le danseur et sa danse, puise sa sagesse dans une certaine lucidité de l’existence d’un corps qui parle, qui s’exprime, voire qui rugit. Le face-à-face pédagogique en est d’autant plus un challenge : comment enseigner le Graham et faire advenir les révélations des danseurs ? Quelle est la place du rituel face à de nouveaux modes de transmission ? Et de ré-assener l’importance de s’émanciper de la technique suprémaciste qui mécanise les corps, pour réintroduire l’organicité du mouvement, la sincérité de l’émotion.

« Enseigner le Graham, c’est redécouvrir les moyens non pas de l’inculquer mais de partager la technique, de partager des sensations, des émotions, qui peuvent aider les personnes devant soi à s’ouvrir et se révéler à eux-mêmes, dans le ressenti et l’émotion »
« Le Graham nous invite à être dans la matière, à être dans le sol, dont on s’extrait : on accouche de soi »

Ces pistes de réflexion ouvrent un défi non seulement philosophique mais surtout pédagogique pour la danse du XXIème siècle : comment ré-anoblir la danse comme langage universel qui est à la fois véhicule et outil de l'expression des individualités ? Comment ré-introduire le langage parlé dans la danse, pour encapaciter les danseurs et les pédagogues ? Comment franchir le seuil des barrières mentales, verbales, dans une discipline qui joue, voire s'affranchit, des barrières physiques ?

« Avec la danse, on propose une issue pour le corps de s’exprimer différemment, une révolution d'un classicisme »

Et pourtant, aujourd’hui encore « on apprend à utiliser les miroirs pour voir, pas pour sentir » ... Et si on laissait place au danseur émancipé, au pédagogue affranchi ?


Elisa Soyer-Chaudun, directrice du ParisLab

Rafael Molina
Compte-Rendu : Week-end 11-12 septembre

Les Ateliers de pratique croisée


Entre respirations de la Gyrokinesis et contractions du Graham, nous avons exploré lors de ce premier Atelier certains principes fondamentaux du mouvement.  

Organisé sur 2 jours, l’atelier devait permettre de tester de nouveaux formats pédagogiques : premier jour, rencontre collective entre danseurs, suivie d’1h30 de Gyrokinesis puis 1h30 de Graham. Deuxième jour : 1h30 de Graham suivie d’1h30 de Gyrokinesis, puis d’un temps de discussion sur l’expérience de l’atelier.

Ce format inédit a permis d’explorer les intersections entre des techniques qui peuvent paraître éloignées — une relevant de la danse moderne, l’autre davantage de la prévention/thérapie corporelle, les synergies entre pédagogues — comment les professeurs se répondent à travers leurs cours et parviennent à créer une continuité de l’apprentissage, et la posture d’apprentissage du danseur confronté à des temps d’échange en amont et en aval du cours — là où, traditionnellement, les cours s’enchaînent sans laisser place au dialogue professeur-élève, élève-élève.

Nous continuerons dans les prochains ateliers d’explorer les dialogues entre disciplines et techniques, les formats de cours innovants, de nous échauffer et de nous étirer aussi bien physiquement que mentalement, avant et après le cours.

Pour vous donner un petit aperçu des échanges que nous avons eu, quelques grandes questions à explorer lors des prochains ateliers …

  • Comment accède-t-on à la dimension sacrée/symbolique du Graham ?

  • Quelles sont les portes d’entrée de nos imaginaires personnels ?

  • Comment la capacité neuro-musculaire influence-t-elle nos gestes ?

  • Comment mettre des mots sur nos sensations, nos ressentis, lorsqu’il n’appartiennent pas au dictionnaire de la danse ?

  • Comment rendre son corps disponible pour accueillir une technique inconnue ?

  • Comment projeter dans ma danse l’énergie qui me correspond, que je souhaite transmettre ?

  • Comment travailler aussi bien la technique que l’expression, la justesse de l’intention, sans être paralysé par le perfectionnisme du danseur ?

  • Quelle posture le professeur doit-il adopter, quels mots doit-il employer, quel rythme donner au cours, pour permettre aux danseurs de se révéler ?

  • Comment s’appuyer sur l’énergie collective du cours et encourager les danseurs à danser en conscience des autres, en bienveillance ?

Elisa Soyer-Chaudun, directrice du ParisLab

Rafael Molina