Compte-Rendu de la Conférence Inaugurale du Divan de la danse - 10/09/21

Inauguration du Divan de la Danse

Pour le lancement du Divan de la Danse, Salim Rzin, danseur, psychanalyste et psychosomaticien, est venu nous parler de la place de l’expression individuelle dans la danse, du lien entre le corps et l’émotion, et de la transaction qui se joue entre le danseur et les autres qui l'entourent (les autres danseurs, le pédagogue, le chorégraphe) .

Il nous a paru particulièrement pertinent d’explorer, dans ce compte-rendu, ces trois axes — l’expression, l’émotion, la transaction — au prisme de la technique Graham.

« Le Graham est une invitation à l’incarnation, à être soi dans son cours »
« L’équilibre du Graham repose sur le caractère identitaire, mais qui permet la célébration de l’identité de chacun »
« Cette technique nous met face à nous, nous met face à des images, des sensations, une vulnérabilité »

Quelle est l’approche de la technique Graham face à la profondeur et à la justesse de l’émotion dansée ? Comment l’expression peut-elle à la fois être propre à chacun et transmise à tous ?  Nous avons lors de cette première conférence échangé autour de la notion d’individuation, de révélation à soi et à l’autre. Et mis le doigt sur l’enjeu interactionnel, intime, qui se joue dans chaque moment dansé.

« La présence de l’autre soulève la question de la place de l’autre, du respect de l’autre »

Alors comment, en tant que danseur, accepter de se révéler, trouver son langage propre, sa danse ? Comment se positionner face à l’autre, s’ouvrir aux danseurs qui nous entourent, respecter le collectif et se sentir reconnu dans son individualité ? Comment, en tant que pédagogue, accompagner l’émergence et la révélation de chaque danseur ?

« On n’est pas toujours à l’aise pour faire cette correspondance entre le corps et l’émotion. C’est le corps qui, à l’origine, renferme les émotions. On nous demande de nous révéler, de ressentir, c’est très vertigineux. »

Cette réflexion touche à l’enjeu d’articulation entre l’intellect et le corps, entre le mental et le ressenti dans la danse, pour développer un regard réfléchi face à sa danse. Et de s’accorder sur l’importance de mettre des mots sur le mouvement, de parler de danse dans les écoles de danse.

« Avant de sur-intellectualiser ce qu’il se passe dans le cours : il faut commencer par nommer ce qu’il se passe dans le cours »
« Pourquoi les danseurs ne parlent pas plus ? (…) Qu’est-ce qu’il se passerait dans les écoles, si on faisait parler les danseurs ? »

L’importance de la pensée critique, du questionnement, de la réflexion dans la danse, soulève un enjeu fondamental : la responsabilité et l’autonomie qui doivent guider les choix et l'apprentissage du danseur — qu’il s’agisse de la posture adoptée dans un cours, de l’écoute accordée aux critiques, de la soumission parfois consentie envers un professeur… là ou le professeur « donne » et l’élève « prend », la valeur de la « transaction » (transmission) dépend de la place que chacun est prêt à donner à l’autre. Et de rappeler la nécessité de réintroduire l’agentivité du danseur-élève dans son processus de formation.

« Les chorégraphes, les professeurs : c’est leur travail de transmettre, mais c’est à nous - danseurs - d’évaluer ce que ça va nous coûter »
« Pour un prof, plusieurs transactions se jouent dans un cours (…). L’élève doit se porter soi-même, on ne peut pas porter les autres »
« Beaucoup de choses circulent dans la salle, des énergies… qu’est ce qu’il faut réussir dans un cours ? (…) Le cours ressemble au prof alors qu’il devrait ressembler aux élèves »

Ces questionnements autour de la transmission, de l’agentivité du danseur et du chorégraphe, de l’individuation et de l’indépendance, ont naturellement permis d'ouvrir le débat sur à des réflexions socio-historiques surplombantes, autour de la notion de plaisir et de besoin, d’intime et de soumission, de symbolique et de rituel. Et de ne pas oublier d’être à l’écoute, de verbaliser nos gestes — les mots de notre corps — qui incarnent les traces de notre histoire.

« En tout le corps parle, tout le temps, parfois pour attirer notre attention, parfois pour communiquer avec l’autre, le corps parle avant vous »
« Dans votre danse, vous êtes homme, femme, vous êtes toutes ces personnes qui ont laissé une trace en vous »

Le Graham, loin d’être une technique étrangère à ces subtilités interactionnelles et émotionnelles qui façonnent le danseur et sa danse, puise sa sagesse dans une certaine lucidité de l’existence d’un corps qui parle, qui s’exprime, voire qui rugit. Le face-à-face pédagogique en est d’autant plus un challenge : comment enseigner le Graham et faire advenir les révélations des danseurs ? Quelle est la place du rituel face à de nouveaux modes de transmission ? Et de ré-assener l’importance de s’émanciper de la technique suprémaciste qui mécanise les corps, pour réintroduire l’organicité du mouvement, la sincérité de l’émotion.

« Enseigner le Graham, c’est redécouvrir les moyens non pas de l’inculquer mais de partager la technique, de partager des sensations, des émotions, qui peuvent aider les personnes devant soi à s’ouvrir et se révéler à eux-mêmes, dans le ressenti et l’émotion »
« Le Graham nous invite à être dans la matière, à être dans le sol, dont on s’extrait : on accouche de soi »

Ces pistes de réflexion ouvrent un défi non seulement philosophique mais surtout pédagogique pour la danse du XXIème siècle : comment ré-anoblir la danse comme langage universel qui est à la fois véhicule et outil de l'expression des individualités ? Comment ré-introduire le langage parlé dans la danse, pour encapaciter les danseurs et les pédagogues ? Comment franchir le seuil des barrières mentales, verbales, dans une discipline qui joue, voire s'affranchit, des barrières physiques ?

« Avec la danse, on propose une issue pour le corps de s’exprimer différemment, une révolution d'un classicisme »

Et pourtant, aujourd’hui encore « on apprend à utiliser les miroirs pour voir, pas pour sentir » ... Et si on laissait place au danseur émancipé, au pédagogue affranchi ?


Elisa Soyer-Chaudun, directrice du ParisLab

Rafael Molina