SAISON 2 - Graham & Tsigane (10-11 décembre)

3ème Pratique Croisée - Saison 2 Graham & Tsigane (10-11 décembre)

Croiser la pratique

Mais aussi les héritages, les cultures, l’histoire, le répertoire et le travail chorégraphique.

La rencontre entre la Technique de Martha Graham et la danse Tsigane s’était déjà effectuée l’année dernière, lors de la première saison de Pratique Croisée de Graham For Europe. Cette année encore, ce fut avec plaisir que Sophie Ménissier, professeure de danse Tsigane et Anouck Krajka, professeure de Technique Graham, se sont retrouvées, le temps d’un week-end, avec d’ancien•ne•s et de nouveaux•lles participant•e•s, pour réunir un groupe autour de jupes virevoltantes, de ports de bras enchaînés et autres petits pas rebondis, bondissant alors entre différents univers.

« Ce que j’apporte part de ce que j’ai reçu » - Sophie Ménissier

La Pratique Croisée est avant tout une rencontre, entre des professeur•e•s expert•e•s dans leur domaine, entre des participant•e•s danseur•euse•s amateur•e•s ou non, curieux•euses, et autre passioné•e•s de mouvement et de culture chorégraphique ou musicale.

« J’aime bouger » fut la phrase de Ninon qui se présenta aux autres.

« Je ne suis pas danseuse, mais j’aime beaucoup la musique », et c’est pourquoi Laetitia s’est inscrite au week-end.

Guidé•e•s par une envie, un désir profond voire une sensation mystique, le groupe se connecte durant deux jours aux deux techniques corporelles. Le partage se poursuit, et la pratique alternée de la danse Tsigane puis de la Technique Graham évoque alors certaines filiations, questionne les héritages culturels et les différentes qualités de mouvements expérimentées.

La danse Tsigane étant elle-même assez complexe entre les différentes cultures que la danse regroupe - telles les postures d’origines roumaines qui vont plus figer le buste, au contraire des influences indiennes qui insistent sur le mouvement des hanches et du bassin, ou encore entre le Tsigane plus rebondi sur les jambes qui contraste avec l’ancrage que l’on trouve dans le Flamenco - des liens furent pourtant mis en lumière avec la Technique Graham. Notamment au travers de l’idéal de Martha Graham de créer une danse universelle. La chorégraphe s’est inspirée des différentes cultures et autres aspects de l’histoire qui la touchait personnellement ce qui fut directement éprouvé durant le week-end à l’initiative des deux intervenantes, par le visionnage et la pratique de deux pièces de son répertoire d’œuvre : Chronicle (1936) et Dark Meadow Suite (1946). Durant sa carrière, « La mémoire de sang », est un concept que Martha Graham évoque pour rendre compte du mouvement que chaque homme a en lui, qui lui vient de ses ancêtres et de l’héritage que l’on a en chacun de nous. Ainsi, si l’on s’interroge sur ce qui unit l’humanité dans la danse depuis des siècles, ce qui fait communauté autour du mouvement, et cette question qui fut posée lors du week-end : pourquoi est-ce que l’on danse ? Les réponses se trouvent dans les étroits liens entre la danse Tsigane et la Technique Graham : par les corps humains tous similaires et pourtant singuliers, qui vont se retrouver autour de concepts de prières ou de rituels. Aussi, la figure du cercle présente dans les deux pratiques - qu’il soit constitué d’un ensemble de personnes, ou comme cercle d’énergie du corps - font écho à la giration de la Terre autour du Soleil.

« Ce rapport avec la terre, base qui lie toutes les Techniques de danse » - Anouck Krajka

La rapport à la terre et le lien avec l’enracinement du corps avec le sol, sont des principes de la Technique Graham que l’on retrouve aussi dans la danse Tsigane par l’importance du centre, ancrage au plus profond du corps pour ensuite explorer les mouvements à l’extérieur de celui-ci. Eloïse se demande alors s’il ne serait pas possible de fusionner les deux corps : un corps Tsigane et un corps Graham, pour activer de manière plus intense encore les connections entre ces deux langages différents qui dialoguent pourtant très bien.

« Ce que j’avais envie de vous offrir aujourd’hui, est en lien avec ce que propose Sophie. On dit qu’on propose une technique, mais on amène aussi quelque chose de nous. » - Anouck Krajka.

La découverte de ces deux pratiques a nécessité aux participant•e•s de s’y plonger, mais le fil conducteur du week-end, comme l’ont rappelé Sophie Ménissier et Anouck Krajka, était de se trouver soi-même. Malgré les logiques corporelles demandées, il est toujours intéressant dans un tel moment de partage de comprendre de quelle manière il est possible pour soi d’explorer et de trouver son propre mouvement. Des émotions intenses ont alors émergé, certaines ont parlé de véritable « révélation », comme l’exprime Anne : « Enfin quelqu’un qui parle mon langage, cette danse, c’est pour moi ! »

Le but de la Pratique Croisée, par son échange, le lâché prise qu’elle permet et l’esprit de groupe qui se crée autour des deux jours permet un être-ensemble, et une communion, ou les liens et les croisements ne se font pas seulement entre deux pratiques corporelles, mais aussi entre des singularités, des individus, des ressentis, et des émotions.

Laura Rivet, chercheuse pour le Paris Lab

Rafael Molina